Erralt

Melvin

Posted in Ecriture by erralt on 28 mars 2009

Melvin habitait une petite maison d’une banlieue modeste des Etats-Unis. Une de celles construites dans ces années où il fallait construire vite pour permettre au plus grand nombre de se loger. Il ne se rappelait plus le nom de ce constructeur qui voulait proposer des maisons à faible coût pour en faciliter l’accession à la propriété. Elles étaient toutes faites des mêmes murs, du même bois et du même verre. Les habitants de cette banlieue apportaient une attention particulière à l’entretien du jardin et à la décoration de leur maison qui faisait que chacune d’elles étaient la leur. Melvin avait grandi ici. Il avait fait ses études non loin de là tout comme ses deux sœurs et son frère.

Aujourd’hui, Melvin, paisible et bien calé dans le siège de sa voiture était un peu plus heureux de rentrer chez lui qu’à l’habitude. Après l’école ses enfants devaient par une sympathique coïncidence être récupérés par les parents de leurs camarades de classe respectifs.
Une mère avait proposé à Sandy, la femme de Melvin, de prendre un de leurs enfants à la sortie de l’école. Isaac, le cadet, répondit qu’il en serait très content, oui, très et sa mère accepta l’offre. C’était une première pour Isaac comme pour sa mère. Quand Rosy entendit ça, elle dit à sa mère qu’elle aimerait bien faire pareil que son frère, qu’elle aimerait bien pouvoir jouer à la poupée chez une copine après l’école. Ces quelques mots s’échappèrent dans la petite foule massée devant la grille et allèrent voler jusqu’aux oreilles d’une autre mère, celle de la meilleure copine de Rosy. Le temps de demander à sa fille qui acquiesça et de faire un petit état de son emploi du temps à venir, elle s’approcha de Sandy et l’interpella : « Sun. Tiens, et si je prenais ta fille à la sortie de l’école, vendredi là ? »

Sun était un diminutif assez approximatif de Sandy, mais c’était ainsi qu’elle était perçue par le voisinage, un rayon de soleil. Elle s’y était faite avec le temps.
Rosy regarda sa mère, elle était très impatiente qu’elle accepte. Sun réfléchit un instant et se dit ma foi que ce n’était pas une mauvaise idée. Rosy n’avait pas école le lendemain, elle pouvait même dormir chez sa copine. Elles profiteraient toutes les deux de cette heure de plus pour jouer ensemble avant d’éteindre la lumière et se lover sous l’épaisse couette de leur lit. Entre temps, la mère du copain d’Isaac revint proposer une date qui était aussi ce vendredi qui arrivait. C’est ainsi que ce soir là, il n’y aurait ni Rosy ni Isaac au dîner, une soirée en couple qu’ils avaient presque oubliés.
Toujours assis au fond de son siège, Melvin se demandait comme il allait pouvoir lancer les hostilités. Quels mots, quelles phrases ? Sun avait toujours un mouvement de recul face aux plaisirs de la chair, un reste de complexe toujours ancré. Quand les mots étaient justes et bien amenés, elle savait s’ouvrir et lâcher prise. Quand Melvin sentait ce moment, quand son ego se gonflait un peu plus, il était certain qu’il obtiendrait ce qu’il désirait. Il savait qu’elle ne ferait pas ces premiers pas, il faisait donc ça pour eux deux. Il ne voulait pas utiliser irrémédiablement les mêmes gestes, les mêmes attentions et phrases pour arriver à ses fins. Il mettait un point d’honneur à être inventif. Sun ne jouait pas à ce jeu de manière volontaire mais elle appréciait les efforts qu’il pouvait fournir, surtout si peu souvent. Serait-ce dans le salon ? Pendant le repas, au hasard d’une discussion ? Ou encore dans la cuisine ? On verra.

Melvin était sur la dernière ligne droite qui l’amenait jusque chez lui. Le soleil lui fouettait les yeux à chaque arbre qu’il dépassait avec une allure et une assurance plutôt tranquille. Des rayons de soleil oranges c’est ce qui lui faisait aimer particulièrement son retour du travail. Un sentiment de plénitude l’envahissait, comme la fraîche odeur d’herbe coupée, à l’idée de passer cette soirée entre amoureux. Comme tous ses voisins, il arrêta sa voiture sur la rampe de garage, un pied dehors, oups, le frein à main oublié. La voiture n’avait pas fait cinq centimètres vers la route. Sun tendit l’oreille au son du moteur qui venait de s’arrêter, comme tant de fois qu’elle le reconnaissait. Melvin entra dans la maison. « Chérie, je suis rentré ! » faisant trainer volontairement les deux dernières syllabes, ça lui mettrait peut-être la puce à l’oreille. Qu’allait-il lui dire, lui demander ? Une intonation assez remarquable pour mettre les choses en suspens ?
Elle faisait à manger quand il la rejoignit dans la cuisine, il ouvrit le frigidaire, pris une bière et la bu en discutant avec elle. La petite fraîcheur avalée le détendit de sa journée qu’il avait passé, de discuter avec sa femme l’écoutant nonchalamment le fit patienter avant le repas.
Elle avait pris plaisir à ce qu’ils aient le ventre sainement rempli et s’étaient régalés. Sun, debout devant l’évier de la cuisine faisait le peu de vaisselle qui n’allait pas dans la machine. Melvin, se collant à elle, glissait lentement ses doigts sur son ventre qu’il aimait tant, il se demandait toujours de quel tissu il était fait, surtout quand il la touchait, nue sous les rayons du soleil de leur chambre à coucher. De la soie ou du satin, il se sentait chanceux. Elle s’affairait quand, soudain, une longue mèche de cheveux céda de son accroche auriculaire pour lui tomber devant les yeux. Elle balança la tête, les mains mouillées et pleines de mousse, elle ne pouvait lui faire reprendre sa place. Melvin, très vite, délogea sa main droite de sous son chemisier à fleurs pour, dans un geste précis et délicat, remettre la mèche à sa place.
Elle pris un reflet tout particulier à cet instant, du noir intense au bleuté d’une carapace d’insecte. C’était une petite correction que Melvin apportait à un tableau quasi parfait. Sun lui lança un regard aguicheur qui voulait dire beaucoup de choses. La vaisselle une fois finie, sur le trajet qui allait les mener, allongés, sur le canapé du salon, Melvin pensa un instant à sa fille. C’était fou à quel point elle ressemblait à sa mère, la même démarche, les mêmes expressions du corps. Allongés, les préliminaires avaient très largement commencés. Quelques uns de leurs vêtements glissèrent du canapé et se logèrent sous la table basse quand Melvin rippa avec son pied sur un de ces morceaux de coton aguicheurs. Sa femme n’avait pas vraiment de formes généreuses, il aimait plutôt les femmes aux silhouettes fines et peu charnues.

Étant adolescent, il avait aimé sa mère ainsi et lui reprochait ses quelques écarts alimentaires quand elle se laissait aller, ça la rendait disgracieuse à ses yeux. Il pensait même que si son père l’aimait comme un vrai mari, il devait prendre soin de sa femme autant que Melvin pouvait le faire. Il n’avait jamais compris son père. Il aimait sa femme de cette manière et ce soir, elle était parfaite.
Dans un soupir transpirant de plaisir la porte tonna sous l’impact répété d’un objet métallique. Le bruit était sourd, la porte épaisse, il ne voulait pas se lever, s’habiller et ouvrir. La persistance des impacts fit que cet objet, une seringue, traversa le bois pour y déverser un liquide incolore, inodore, il distillait la suffocation dans toute la pièce. Sa femme, apeurée, trouvait tout de même l’air nécessaire pour ses halètements. Melvin n’en avait plus. La porte céda, la pression de la personne sur la seringue était trop forte. Melvin reprit conscience au milieu d’une pièce froide carrelée des murs au plafond d’un vert pâle lui rappelant la salle de bains de sa grand-mère. La sensation de suffocation partit comme un éclair quand son esprit fut revenu à la réalité, il y avait en lui une tension énorme qui le fit sortir de sa torpeur. La tête basculée sur la droite, un tableau de visages lui faisait face. Il pouvait y distinguer dans un reflet, une seringue vidant un breuvage dans son bras gauche. Il sentait ses veines se contracter sur elles-mêmes, il sentait la rupture proche. Impossible de contrôler ses muscles, toutes commandes du cerveau étaient devenues inopérantes, c’était la suite logique du protocole.

Il voyait des visages durs, insatiables, des pleurs, sa femme, sa fille, son fils. Son regard croisa celui de sa fille reconnu dans son rêve quand la seringue fit céder la porte, quand elle la guidait vers son but. Il criait à l’intérieur, aucun bruit, aucune expression à l’extérieur, jusqu’à la fin, la froideur. Tels les fibres d’un câble de remontée mécanique qui s’effiloche, les veines rompirent leur attache, l’une après l’autre avec un bruit répété et irrégulier annonçant la chute. Le cri des âmes en proie à l’angoisse restèrent confinés dans la cabine, comme Melvin allongé dans son enveloppe charnelle.

Toute cette souffrance, il l’acceptait pour ce qu’il avait fait. Il n’avait pas tué, non, juste violé, elle n’avait que 10 ans et cela avait été répété, à son domicile. La peine capitale avait été prononcée il y avait maintenant presque dix ans. Dix ans sans pouvoir voir ses enfants, les câliner. Interdiction ordonnée par le juge. Sa femme venait le voir, toujours partagée dans ses visites qu’elle lui faisait. Oscillant entre son amour pour lui et la répugnance pour ses actes.

Les veines s’étaient détachées et extirpées de chacun de ses membres pour enlacer son cœur et le protéger du venin qu’il portait en lui. Elles seraient si fort que le cœur s’arrêta de battre. Dans le dernier souffle qu’il expira Sun dû à jamais ranger dans ses souvenirs la sensation que cet amour allait chercher en elle. Tout ceci mettait un terme à dix années de contrition, de rêves de pouvoir retrouver ses enfants et sa femme, unis dans leur petite maison chaleureuse. Dix années de sévices de la part de ses co-détenus, et oui, on pouvait être en prison et y couler de paisibles jours mais pas si on avait touché à un enfant. On le payait chaque jour à la même heure, dans la même cellule, celle dans laquelle on vivait. Ils lui avaient dit qu’ils allaient lui briser tous ses rêves, qu’il n’imagine pas un jour revenir vivre son ancienne vie, finie.

Les quelques derniers bips de l’électrocardiogramme résonnèrent dans la tête de Sandy et le son de l’arrêt, toutes respirations suspendues dans l’assemblée, déclenchèrent la dernière salve de larmes qu’il fallait maintenant sécher. Les larmes de Rosy étaient imprégnées de tristesse pour son père et de culpabilité d’être à l’origine de tout cela. Cela faisait dix ans que cela s’était arrêté et n’était plus certaine qu’il fallait en arriver à ce spectacle pour que son père ne puisse plus être à nouveau le bourreau de ses nuits.

Le rideau fut tiré sur cette pièce verte aux joints blancs. Dans cette pénombre, l’assistance sa leva, tourna le dos à cette représentation ultime et se dirigeait vers la sortie. Personne n’avait attendu pour féliciter l’acteur principal.

Une Réponse

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  1. mayleen said, on 28 mars 2009 at 12:15

    j’aime beaucoup, mais ça tu le savais déjà 😉


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